Heureux comme un danois au bureau

23 janvier 2019

Le Danemark est dans le top 3 des pays les plus heureux au monde (la France, en progrès, est en 23ème position selon le World Happiness Report 2018(1). Comment peut-on expliquer cette longueur d’avance danoise ? Comment cela se traduit dans le monde du travail ? Voici quelques éléments, non exhaustifs, retenus dans l’ouvrage « Heureux comme un danois » de Malene Rydahl, auteure venue témoigner récemment en séminaire CBRE. 

Bien-être

Au Danemark le bonheur au travail possède son propre mot, arbedjdsglaede, une indication de l’importance du sujet pour ses citoyens. Mais avant de s’immiscer dans le monde professionnel, attardons-nous sur certaines valeurs qui façonnent la société danoise et favorisent sans doute son statut privilégié de « pays heureux ». Soulignons d’abord la confiance en l’autre et en la société. De cette confiance découle la bienveillance, une valeur largement encouragée dès la petite enfance au Danemark. La liberté d’être soi est également enseignée très tôt aux jeunes danois, ils sont éveillés à développer leur propre personnalité et leurs qualités. On leur apprend à se comprendre, à comprendre, à respecter les autres et à faire preuve de modestie. Enfin la notion de collectif est essentielle. Chacun assume sa part de responsabilité et trouve normal de payer autant d’impôts (autour de 60% dès 52 000 euros de revenus). Partager rendrait heureux si on a confiance aux autres, c’est à dire en l’Etat, son gouvernement et ses citoyens.

Un équilibre entre vie privée et vie professionnelle satisfaisant

Selon l’OCDE, le Danemark est le pays qui est parvenu à instaurer le meilleur équilibre entre le temps passé au travail et la sphère privée (la France est à la 14ème place). Comment ? Grâce à une grande flexibilité horaire chez les salariés et à un télétravail plus répandu. Les salariés peuvent jongler plus facilement avec les exigences personnelles comme l’éducation des enfants ou les rendez-vous médicaux. Les rôles sont d’ailleurs plus équilibrés au sein des couples (congé parental inclus). En entreprise, cet équilibre attire des talents et favorise leur épanouissement. Ils sont de facto plus efficaces et fidèles.

L’épanouissement avant l’argent

Les danois ont tendance à privilégier une profession dans laquelle ils sont susceptibles de s’accomplir plutôt que de courir après le meilleur salaire. Certaines professions manuelles, parfois peu valorisées en France seront appréciées différemment au Danemark, notamment en raison de leur caractère utile au bon fonctionnement de la société. Il faut dire aussi que le haut niveau d’impôts atténue fortement l’écart entre les plus riches et les plus pauvres. Certains pourraient y voir un frein vers l’excellence et l’ambition. D’autres voient dans cette ligne de conduite un moyen d’éviter la quête du « toujours plus », source de frustration et frein au bonheur.

Le développement de soi supplante la « course à l’élite »

Les enfants danois sont amenés à développer leur esprit critique, leur sens de l’initiative et leur plasticité, des qualités hautement recherchées aujourd’hui dans le monde professionnel. Ils ont créé dans ce but « Efterskole » et « Højskole», deux concepts d’éducation sans équivalence en France. L’objectif est leur réalisation personnelle, c’est-à-dire qu’ils prennent confiance et conscience de leurs propres compétences et personnalités. C’est un moyen de leur permettre de trouver leur place et leur utilité dans la société danoise.

Exit le présentéisme

Au Danemark, on pense « résultats » avant « horaires ». Rester au bureau tard peut-être mal vu. On remettra en cause les qualités d’organisation du salarié plutôt que de flatter son dévouement. Selon une étude de l’OCDE un danois passerait en moyenne 31% de son temps au travail soit moins de 8 heures par jour. Seulement 2% des danois auraient des journées considérées comme plus longues que la moyenne (contre 9% pour les pays de l’OCDE). Car si officiellement la semaine de travail est de 37 heures, la plupart des danois travailleraient moins avec pour conséquence une meilleure productivité qu’en France selon les chiffres de l’OCDE de 2016.

Quid des postes à responsabilités ?

Sans surprise, l’étude Lederne (2) démontre que le niveau de responsabilité a un impact sur cet équilibre. Six cadres danois sur dix avouent être contraints de travailler parfois le soir et le week-end. Cela dit une majorité d’entre eux s’estiment maîtres de leur organisation de travail : 8 sur 10 déclarent se sentir libres d’organiser des rendez-vous médicaux dans la journée par exemple. Au total 85% des sondés estiment être très satisfaits de leurs conditions de travail et deux tiers de leur équilibre entre vie professionnelle et personnelle. Pour le tiers restant, ils disent réfléchir à changer de travail. Et c’est là que rentre en jeu la flexisécurité danoise. En effet leurs méthodes d’embauche et de licenciement sont souples et leurs indemnités chômages généreuses. De plus la conversion professionnelle est facilitée. Les danois envisagent donc facilement de changer de travail s’ils ne sont pas assez satisfaits.

Le vélo, grands favoris des trajets quotidiens

Les trajets auraient également un poids significatif sur le chemin vers le bonheur au travail. Encore une fois, les danois sont parmi les meilleurs avec un temps moyen de 27 minutes de transport pour se rendre et revenir de leur lieu de travail (38 minutes dans les pays de l’OCDE et jusqu’à 1h24 en moyenne par jour pour les travailleurs franciliens !(3). Moins polluant, moins oppressant, bénéfique pour notre santé et la collectivité, le vélo est leur moyen de transport préféré. Pratique, il évite le stress des embouteillages ou des places de stationnement… Et même les politiques pédalent : 63% des députés danois viennent travailler à « Christianborg » (siège du parlement danois) à vélo.

Question à Malene Rydahl, auteure du best-seller “Heureux comme un danois”. Selon vous, dans quelle mesure peut-on s’inspirer de ce modèle dans nos entreprises françaises ?

Malene Rydahl : “On peut s’en inspirer en exploitant 3 solutions majeures et cela commence par la construction d’une communauté de confiance. Le premier pas est d’abord de se poser la question en tant que Manager – comme en tant que collaborateur – est-ce que l’on est soi-même quelqu’un de confiance ?
Il faut travailler sur la mise en place de cette confiance et accepter la prise de risque qu’elle suppose. C’est d’ailleurs un moyen de connaître ses capacités à réagir face aux erreurs ou échecs.

Ensuite il faut encourager la liberté d’être soi-même dans l’entreprise. Elle permet de mieux se connaître mais aussi de mieux cerner les qualités et les ressources de ses collaborateurs.
Enfin il faut donner un sens à l’activité de l’entreprise et à chacun des employés, c’est-à-dire prendre en compte les spécificités des individus, valoriser leurs actions et leurs personnalités. La jeune génération souhaite exprimer ses idées, en ce sens, elle ressemble aux Danois. Elle aspire aussi à un meilleur équilibre entre la vie professionnelle et personnelle. Autrement dit, il faut libérer les talents, prouver leur utilité et favoriser leur engagement en les traitant comme des adultes et en leur proposant plus de flexibilité horaire et du télétravail.
Qu’ils y soient sensibles ou non, les dirigeants seront contraints de prendre en compte ces demandes s’ils veulent attirer et fidéliser leurs équipes…

Il est important d’être conscient que cette quête de sens est bien plus importante que l’effet « babyfoot », « paniers de fruits », « week-end ski » ou « tobogan ». Ceci d’autant plus que ces « cadeaux » nécessitent une communication interne adaptée basée sur l’humilité et la gratitude. L’être humain a une tendance naturelle à prendre très vite ce genre de « bonus » pour acquis. Ce qui était au départ un atout devient une source de réclamation, voire même de déception.”

 


Sources :

Heureux comme un Danois aux éditions Grasset ou version poche (éditions J’ai lu) de Malene Rydahl. Retrouvez plus d’information ici.

(1) A propos du World Happiness Report « Expliquer pourquoi un pays est plus heureux qu’un autre est une affaire risquée, mais le rapport cite six facteurs importants : le G.D.P. par habitant, le soutien social, l’espérance de vie, la liberté de faire des choix de vie, la générosité et les niveaux de corruption », résume le New York Times.
(2) L’organisation « Lederne » est un syndicat non politique dédié aux personnes occupant des postes à responsabilité. Elle a réalisé une étude parmi 1585 de ses 100 000 membres sur l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle. Etude Lederne, octobre 2012.
(3) Etude parue en juin 2017. Etude de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme (IAU) d’Ile-de-France.

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